Réalisé en collaboration avec Alienor Massenet, nez chez IFF, les Compagnons du Tour de France charpente, et Philippe Médioni, achitecte.
série Phylloplasties
Le projet de Karine Bonneval se fonde sur la manipulation du vivant par l’humain. Ses recherches plastiques trouvent leur origine dans la notion d’exotisme.
À l’époque des cabinets de curiosités, puis des serres, des plantes sont acclimatées en Occident pour constituer le fond de jardins botaniques. On collectionne et on inventorie ces trésors de voyages, témoins directs de la mainmise de l’homme sur la nature et du pouvoir de l’Europe sur les pays dits indigènes. Ces récoltes sont également l’expression d’une recherche de sensations et d’agrément. La colonisation du vivant racontée dans les récits de voyages demeure sujet d’actualité. Les explorateurs d’aujourd’hui sont à l’image de ces grands groupes pharmaceutiques et agroalimentaires qui s’approprient les espèces naturelles pour les transformer en produits de l’industrie. De même, à moindre échelle, et sans que nous en ayons conscience, les plantes de nos jardins et de nos intérieurs proviennent le plus souvent de contrées lointaines et répondent à notre besoin de végétal comme un rempart contre notre propre société.
Le dispositif présenté à La Maréchalerie agit comme une mise en abîme de l’espace pensé à partir du désir perpétuel d’une nature imitée. Citation d’À rebours de J.-K. Huysmans, écrit en plein siècle romantique, à l’époque des expositions universelles, le titre de l’exposition fait explicitement référence à l’univers baroque dont s’entoure Des Esseintes, personnage reclus qui se consacre à la reproduction du monde, habité par l’obsession de transformation du vivant.
Reste à accomplir pour le visiteur l’expérience de la déambulation dans un environnement végétal et olfactif fantasmé, à la lisière ténue entre naturel et artificiel. Dans cet espace clos qui rappelle la serre, comme dans un microcosme fantasque, les plantes sont augmentées de manière anthropomorphique. Travesties par des rajouts qui renvoient à une esthétique humaine (ongles, cils, cheveux) et par des parfums recréés, ces plantes colonisées ramènent le végétal à l’humain de manière violente.
(...)Leurs feuilles presque cirées pourraient les faire passer pour des ersatz impérissables à l’entretien inexistant mais ces plantes exotiques sont bien vivantes, modifiés à coups de colle, de greffes étranges qui les font apparaître comme des trophées macabres. Longs cils ravageurs, mèches de cheveux au blond peroxydé, faux ongles, les plantes arborent des parures plus ou moins discrètes, possible nouveau chaînon manquant darwinien. On l’a longtemps cherché et fantasmé entre l’homme et l’animal depuis la publication de son Origine des espèces de 1859, qui a conduit certains opportunistes à exposer dans des Freak Show d’un goût douteux des hommes et des femmes atteints d’hypertrichose et d’hirsutisme sévère comme chez la petite Krao, promue femme-singe par un « bienfaiteur » comme Barnum. Mais si le chaînon manquant était plutôt végétal ? Brian Aldiss dans Le monde vert, opus science-fictionnel de 1962, l’avait déjà pensé au cours de cette épopée délirante au milieu d’une canopée hostile. Karine Bonneval en propose une forme moins agressive de prime à abord (embusquée sous des atours girlies), paraboles d’un asservissement de la nature, du pillage biologique et botanique auquel s’adonne la pharmacopée industrielle, des ravages de la monoculture intensive. Sa « ménagerie » compose aussi une métaphore de cette écologie superficielle que le Norvégien Arne Naess fustigeait déjà en 1973 dans son plaidoyer pour une écologie profonde . L’attaque cosmétique de Karine Bonneval formalise un écho critique aux mesurettes décoratives adoptées par bien des gouvernements incapables de résister aux sirènes des lobbies pharmaceutiques, aux intérêts économiques souverains. L’écologie appliquée au politique et son art du maquillage vert et de ses prises de décisions segmentées, rapides, spectaculaires et inefficientes à la longue. Il ne s’agit pas ici de condamner toutes les mesures écologistes mais bien d’insuffler un peu d’outrance, d’humour dans un monde vert culpabilisant et souvent pontifiant (...)
Bénédicte Ramade, catalogue de l'exposition
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